Interpellée pour une banderole et du sérum physiologique…

Jeudi dernier, plusieurs des membres de notre groupe ont participé à la manifestation contre la Loi Travail, qui s’est limitée à un tour de la Place de la Bastille et du bassin de l’arsenal, sous haute surveillance policière. Même si ce défilé a eu lieu pour une fois sans affrontement avec la police, plusieurs d’entre nous se sont sentis profondément bridés dans l’exercice de leur liberté de manifestation et d’expression du fait des limitations imposées par les autorités.

Une des nos membres livre ce témoignage de ce qui lui est arrivé. Elle a été interpellée et a risqué la mise en garde à vue pour avoir porté dans son sac du sérum physiologique et des lunettes de protection, ainsi qu’une banderole. Ces stratégies d’intimidation employées par la police sont choquantes et elles attestent de la montée d’un arbitraire du pouvoir de plus en plus inquiétant.

 

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Jeudi 23 juin, jour de manifestation interdite puis autorisée, récit d’une interpellation.

Les manifestants réguliers aux dernières manifestations ne découvriront rien, pour d’autres qui suivent de plus loin, ou à travers les média, voici un petit récit de cette journée particulière :

Déterminée à manifester ce jour là encore contre la loi travail, et renforcée dans cette détermination par les menaces d ‘interdiction de manifester, je me rends à la Bastille avec une collègue et amie, et nous arrivons à pied par le bd Henri IV.
Le premier barrage de CRS se trouve juste après le pont de Sully, un peu avant l’Arsenal.
Fouille de sacs prévisible, nous étions prévenus par les infos que les « mesures de sécurité » seraient renforcées. J’ouvre mon sac où j’avais – précaution habituelle ayant appris de l’expérience lors des dernières manif – quelques fioles de serum physiologique en plastique et des lunette de piscine.
Objets interdits, mettez vous sur le côté me dit le CRS qui avait examiné mon sac.
L’amie qui était avec moi avait passé le barrage (les objets délictueux un peu plus enfouis n’avaient pas été vus). Je reste avec elle dit-elle : pas de retour en arrière possible. Elle s’apprête à rester pour me soutenir de l’autre côté de la barrière de CRS : Circulez, sinon vous êtes interpellée vous aussi.
Combien de temps vais-je devoir rester ici ? Pas de réponse
Je lui fait signe d’aller retrouver mon ami qui était plus loin pour le prévenir.
J’avais également une banderole « BSG – bibliothèque en lutte » et des montants en bambous tout fins et légers ramenés des dernières vacances à cet effet.
On m’informe que je ne pourrai pas passer avec ça, malgré mes protestations sur l’entrave au droit de manifester puisque cette manifestation est finalement autorisée.

Ces protestations doivent être interprétées comme signe de rébellion : Vous expliquerez cela au commissariat, vous êtes interpellée et mise en garde à vue.
Je m’apprête à sortir mon téléphone pour prévenir que je ne peux être à mon RV : Vous n’avez pas le droit de téléphoner, vous pourrez passer un seul coup de fil quand vous serez au commissariat.
Tout cela s’est passé très vite, je n’avais pas révisé mon guide du parfait manifestant, et je découvre ce que j’avais souvent lu mais jamais vécu jusqu’à ce jour.

Pendant que je poireaute sur le coin de trottoir, j’échange des regards avec 4 personnes assises sur un banc à côté, les poignets entravés, quel était leur crime ? Des dosette de serum ou d’autres armes dangereuses ? Je ne le saurais pas.

10 mn plus tard, un CRS revient me voir : vous acceptez de laisser tout cela (serum, lunettes et bambous) ? Je demande s’ils me garantissent que je n’aurais pas besoin de serum et qu’ils ne gazeront personne aujourd’hui. Il n’y aura pas de lacrymo aujourd’hui répondent-ils.
J’abandonne mon matériel et retrouve mes amis un peu plus loin. Nous avons du laisser fouiller nos sacs 5 fois avant d’arriver à la Bastille, papiers contrôlés, et autre paire de lunettes confisquée.
De l’autre côté de la Bastille, c’étaient les foulards qui étaient considérés comme objets délictueux et confisqués sous peine de ne pouvoir atteindre la place de la Bastille.

J’ai donc finalement pu manifester, ou plutôt tourner en rond autour du bassin de l’Arsenal ce jour là.
Est ce que je fais partie de la centaine d’interpellations « en marge de la manifestation » annoncée fièrement par la préfecture le lendemain comme preuve de son efficacité dans le maintien de l’ordre ? Je ne sais pas, on ne m’a finalement même pas contrôlé mes papiers.

Par rapport à d’autres qui ont subi au cours des dernières manifestations gazages et violences policières, on pourrait dire qu’il ne m’est rien arrivé de grave.
Mais pendant une petite demi-heure, j’ai été privée de ma liberté de mouvement et empêchée de communiquer, en raison d’une paire lunettes de piscine et de 3 fioles de serum dans mon sac.
Pendant ce temps là, j’ai subi l’intimidation d’une poignée de CRS en dehors de toute légalité. Quelle est leur part d’initiative individuelle ou d’obéissance aux ordres ? je ne le sais pas.
Mais ce que je sais, c’est que la boule de colère est toujours là au fond de mon estomac, face à ce sentiment d’injustice et de déni de l’état de droit qui devrait être la règle dans toute démocratie, et que cette boule n’est pas prêt de disparaître.

Pour la petite histoire, nous sommes retournés bd Henri IV à la fin de la manifestation, les barrages de CRS étaient levés, nous avons interrogé un policier qui faisait paisiblement la circulation pour lui demander où s’adresser pour récupérer les objets confisqués, et comment trouver l’arrêté préfectoral qu’on nous avait cité précisant la liste des objets interdits. Les objets ont du être détruits nous répond-il, quant à l’arrêté ou décret, après avoir réfléchi un moment, ils nous a conseillé… de nous adresser à la CGT !

Le jour où ils ont contrôlé sans raison un arabe qui passait dans le couloir du métro, je n’ai rien dit, je ne suis pas arabe
Le jour où ils ont assigné à résidence un militant écologiste pendant la COP 21, je n’ai rien dit, je ne suis pas écolo
Le jour où ils ont interdit de manifestation un étudiant de Paris 8, je n’ai rien dit, je ne suis pas étudiante
Lorsqu’ils sont venus me chercher, il n’y avait plus personne pour protester

Adapté librement du poème du pasteur Martin Niemöller

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