Témoignage de la manif du 17 mai et appel à renouer avec la convergence des luttes

Nous postons le témoignage d’un des nôtres qui a participé hier à la manifestation organisée contre la Loi El Khomri. Il a notamment pu voir des membres des services d’ordre du syndicat CGT prendre part à la répression du cortège aux côtés des CRS. Notre groupe désapprouve ce type de comportements, tout comme la violence dont font preuve les casseurs. Nous en appelons à retrouver l’esprit de convergence des luttes, qui fut le mot d’ordre originel de Nuit Debout.

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La journée fut assez difficile… Pourtant l’après midi avait plutôt bien commencé. Dire qu’elle a mal fini est un doux euphémisme…

Le départ se déroule dans le calme d’une belle après-midi. Ambiance festive, ambiance de lutte, les slogans habituels, distribution de stickers et autres flyers, un cortège pas très grand mais bien compact avec à sa tête Nuit Debout, puis toute une série de syndicats. Certes les stations de métro autour de l’École militaire sont fermées mais rien d’anormal non plus, maintenant. Étant arrivé vers 14h20 tout au bout de l’École militaire, je décide d’avancer et de remonter le cortège pour me mettre derrière les banderoles de Nuit Debout, qui sont en tête. Je n’ai pas de banderole de BiblioDebout, mais je représente le groupe. Malgré quelques infos concernant des lieux qui nous sont chers depuis la manif de jeudi dernier et que je revois avec un pincement (Saint-François Xavier, Invalides nous voilà pour un remix), je ne croise pas un seul policier ou CRS visible sur toute la première partie du défilé : signe de détente ou alors concentration à prévoir, dans tous les cas le défilé se déroule très bien, presque sans aucun souci à ma connaissance, en dehors de quelques chicaneries à la CNT. Enfin une manifestation où l’on peut avancer, où l’on peut chanter, discuter, crier, rire, se réunir !

Je retrouve deux amis une fois passé Montparnasse, je croise des connaissances, l’ambiance est à la lutte dans la sérénité. Là, les CRS commencent à se montrer massivement, la place est complètement bouclée pour orienter le cortège sur le boulevard, direction Denfert (l’arrivée a été déplacée, pas question d’approcher Matignon… cf jeudi). Cent mètres après la place, le cortège se bloque d’un coup, je suis tout devant avec mes camarades deboutistes. Un mur de CRS contrôle son avancée, ce qui aujourd’hui n’a rien d’inhabituel malheureusement, symbole fort de l’encadrement forcené du droit de manifester dans notre pays… Mais beaucoup plus étonnant pour le coup, je découvre un petit cordon d’environ 30 personnes à tout casser (mauvaise blague) d’un service d’ordre a priori CGT, devant les CRS, compact, casqué et visiblement sur les nerfs, voire clairement menaçant et insultant, disons-le. Evidemment ça filme sur les côtés, les flics en civil et autres bacqueux sont là aussi.

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La tension monte d’un coup, c’est très perceptible. Un écart s’est créé, il n’en fallait pas plus après vingt bonnes minutes d’attente et de provocations pour que les premiers bris de vitrines publicitaires, les premiers jets de projectiles et les premières bombes retentissent. Une bonne vingtaine de bombes de désencerclement plus tard, c’est la pluie de lacrymos. C’est la réunion piscine, jeunes, vieux, filles, garçons, tout le monde est convié à mettre ses lunettes ou son masque! Cela donne quelque chose de totalement ubuesque. Mais ceux qui étaient présents ces derniers jours savent à quel point ça fait mal. Les vendeurs de sérum physiologique semblent sponsoriser les CRS car ça n’est que le début d’un déluge de gaz et d’une fin de manif complètement chaotique. S’ensuivent des jets de lacrymos quasiment tous les trente mètres, des bombes, des cris, des courses. Nous commençons à être habitués à ce déferlement, nous savons que nous allons pleurer, cracher, tousser, nous avons désormais le réflexe de taper dans les lacrymos quand elles tombent à nos pieds comme cet après-midi encore, nous savons que nous ne pouvons plus trop discuter tranquillement et qu’il faut être toujours attentifs à ce qui nous entoure car le danger vient de partout, y compris du ciel. Idem des explosions assourdissantes, du remplacement sauvage de pubs à coups de pavés ou des dégradations en tous genres. Pour notre arrivée à Denfert, nous avons encore été très bien accueillis avec des salves de lacrymos, de bombes, et ce dès le premier pas posé sur la place, comme jeudi dernier là encore. Nous sommes complètement encerclés. Un petit groupe d’encagoulés cherchent des noises, le gros de la troupe est pacifique mais a droit aux cadeaux quand même. Il y a des blessés soignés par les medics de Nuit Debout (j’en ai dénombré au moins trois, dont un la tête en sang, j’ai des photos). Á ce moment précis, je vois des gens courir et chasser des manifestants avec des matraques, des battes de baseball et autres bouts de bois. Les CRS ne sont pas en reste. Les interpellations doivent également commencer vu la cohue. On me prévient que des cars arrivent en renfort et que les flashballs sont de sortie. Pendant une bonne vingtaine de minutes, l’ambiance est au chaos.

Puis vient la consternation : après avoir repris mes esprits, je me rends compte que les personnes qui couraient et frappaient n’étaient PAS des CRS. Ce sont les membres du service d’ordre casqué que j’avais croisé tout à l’avant de la manif. J’en discute avec des gens présents à ce moment-là, y compris de la presse d’ailleurs, tous me confirment ce que j’ai cru voir : ce sont les fameux SO en tête du cortège qui ont frappé, aidant les CRS, puis se sont réfugiés derrière eux, avant d’être exfiltrés le long d’un mur à l’entrée de la place vers le reste de la manif, qui elle n’arrivera jamais à son terme, protégée par d’autres membres du service d’ordre.

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C’est à mon sens la chose la plus sidérante de ce bien triste après-midi et la fin très probable de cet appel à la convergence des luttes porté par les syndicats. Les CRS évidemment ne sont pas intervenus, trop heureux de voir des personnes dont les objectifs sont en partie identiques se diviser sous leurs yeux. J’ai discuté avec des membres de la CGT qui ont été choqués de ce qu’ils ont vu, d’autres ne pouvaient pas imaginer qu’il s’agissent de membres de la CGT, d’autres encore légitimaient totalement les violences du SO. Bref, un certain flou pas vraiment artistique.

Car la réplique ne tarde pas à venir et l’affrontement, essentiellement verbal heureusement (même si des projectiles ont volé) se déclare entre les premiers manifestants. D’un côté et en gros, Nuit Debout + lambdas + autonomes et “casseurs” et de l’autre, les syndicats, qui se sont arrêtés, étonnamment au bon moment, (je vous laisse juges), pour ne pas prendre tous les paquets que nous avaient laissés les forces de l’ordre. Certains manifestants se lancent dans une véritable chasse aux membres de ces SO. Pour ma part, je participe un peu à la manif sauvage qui se dirige vers Montparnasse au milieu du boulevard du même nom, entre les voitures et pourchassée par des crs. Je quitte tout ce beau monde en arrivant sur la place où la circulation a repris depuis longtemps. Je ne sais pas comment s’est passée la dispersion finale à Denfert, ni celle des diverses manifs sauvages, je n’ai pas eu/pris de nouvelles depuis. De rien.

J’ai encore le goût et l’odeur des lacrymos dans le nez et la gorge, j’ai bien mal à la tête et les oreilles qui sifflent, et surtout, surtout, je suis consterné de toute cette bêtise, de toute cette médiocrité.

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